Mapa yang’oyo eleki
2024
Charbon, graphite et crayon pastel sur papier
A1
Ce portrait d’une femme/maman vendant du pain dans le marché central de Kinshasa se veut de souligner la question de la place de la femme dans la société congolaise. Les femmes sont appelées à jouer un rôle à l’échelle de la micro-société qu’est la famille en tant que mère, épouse et ménagère. Mais dans les faits, les femmes sont de grandes actrices dans l’économie du Congo, et portent la charge de la survie de leur foyer. Malheureusement leur marginalisation ne favorise pas leurs entreprises. C’est en s’appuyant sur les études de Madame Albertine Tshibilondi, intellectuelle et militante engagée dans la promotion des droits des femmes et l'égalité des genres en République démocratique du Congo que l’on analysera la problématique derrière ce dessin.
Ruhune propose une expérience immersive avec un enregistrement du bruit du marché central de Kinshasa. Malgré le bruit de foule, des claxons et des moteurs, on arrive à distinguer la voix d’une femme faisant la promotion de son stand de lingerie féminine à l’aide d’un haut parleur. C’était selon l’artiste une démonstration et preuve indéniable du rôle crucial de la femme dans l’économie urbaine.
La femme dans l’économie
Outre leurs responsabilités en tant que mères et épouses, les femmes jouent un rôle essentiel dans la production alimentaire et agricole au Congo (représentant 60% des actifs dans l'agriculture), contribuant de manière importante à l'économie. Dans la société congolaise où la subsistance est importante, les femmes sont souvent responsables des tâches ménagères telles que la recherche de nourriture, la préparation des repas, la collecte de charbon et d'eau, ainsi que la vente ou l'échange de produits importés, le tout généralement près de chez elles. Les femmes sont des pourvoyeuses de nourriture non seulement pour leur famille, mais aussi dans les lieux de passage et de concentration de la population.
Cet extrait du dessin affiche une bassine remplie de baguettes de pain soutenues par des planches en carton. Sur la bassine l’on retrouve la phrase “Pain victoire, lipa ya ba gagnants” soit “Pain victoire, le pain des gagnants”, qui laisse penser que cette vendeuse collabore avec la très connue boulangerie industrielle Pain victoire. Les femmes s’y présentent pour obtenir un contrat informel (une carte) leur facilitant l’accès au pain et leur assurant une paie à la commission après paiement d’une garantie. Elles circulent ensuite à pied dans les rues de la ville pour vendre leur pain en criant haut et fort des phrases tel que “Mapa yang’oyo eleki!” soit “Voici le pain qui passe!”. Pour la survie de leur foyer, ces femmes/mamans se lèvent quasiment tous les jours dès 4 heures du matin pour exercer leur commerce ambulant malgré les contraintes climatiques, l’insécurité et le manque d’équipement adéquat. Leur charge mentale se retraduit par le poids des bassines qu’elles transportent au quotidien, mais n’est toujours pas reconnue à sa juste valeur.
La femme dans la sphère publique
Dans la société congolaise, les rôles entre hommes et femmes sont clairement définis, l'homme étant le chef de famille tandis que la femme, bien que respectée, est souvent perçue avec un pouvoir influent mais limité à la sphère privée. Il est essentiel de ne pas surestimer cette influence discrète des femmes, car contrairement à la croyance répandue selon laquelle «mwasi atongaka mboka te », soit “une femme ne peut bâtir un village” , les femmes jouaient des rôles significatifs dans la société précoloniale, telles que les reines indépendantes des royaumes Kongo et Lunda. Cependant, l'implantation du système colonial a perturbé ces structures, excluant les femmes de la formation et entraînant la perte de leurs droits sociaux, religieux et politiques.
Cet extrait du dessin est une illustration réalisée sans lever la main révélant le rôle de genre dans un couple africain. Dans l’art traditionnel l’on retrouve souvent cette représentation d’une femme portant un bébé sur le dos et un plat de nourriture entre les mains, accompagnée de son conjoint portant une lance, dans un village en pleine nature. L’idée derrière ce oneline drawing était de montrer qu’il était attendu de la femme congolaise d’exister principalement à travers le rôle d’épouse, de mère et de ménagère. Mais ce petit dessin abstrait entre en contradiction avec le grand dessin réaliste de la vendeuse de pain qui pourvoit de la nourriture à l’échelle de la ville.
On y retrouve aussi la silhouette de Karaba, personnage du dessin animé “Kirikou et la sorcière” qui fut diabolisée et rejetée de son village suite au viol qu’elle subit. C’est un rappel au portrait du Dr. Denis Mukwege réalisé par Ruhune en 2022 qui aborde le sujet du viol utilisé comme arme de guerre à l’est du Congo, mais aussi une illustration de ce que résume l’extrait de texte de madame Tshibilondi écrit à l’arrière-plan: “En effet, malgré leur ingéniosité, qui permet de faire face à la crise en vue de la survie de la famille, les femmes sont victimes de violence au quotidien, surtout dans les situations des conflits aux agendas économiques cachés, dont le pillage des ressources naturelles du continent…”.
L’informel féminin ou «l’économie populaire»
Les femmes jouent un rôle crucial dans le secteur informel au Congo, contribuant de manière significative à l'économie urbaine. Ce phénomène a des racines historiques remontant à l'époque de la colonisation. En milieu urbain, elles participent activement au commerce pour subvenir aux besoins de leur famille en fournissant des produits alimentaires, des vêtements et des services de base dans de grandes métropoles. Bien que confrontées à une concurrence féroce et acceptant des marges minuscules, leur insertion dans des secteurs nécessitant des ressources financières plus importantes peut être difficile.
L’arrière-plan du dessin révèle le contexte dans lequel se trouve le personnage. Les parasols des différents stands indiquent que la maman se trouve dans un marché au milieu de plein d’autres commerces informels. A cause de l’inflation, la population est contrainte de réduire sa consommation et les commerçants peinent à écouler leur stock. Le prix du pain se voit augmenter de 50% , un coup dur pour les ménages Kinois dont c’est l’un des principaux aliments. L’une des raisons de cette hausse de prix pourrait être la guerre en Ukraine impactant les importations du blé, mais pour un pays potentiellement disposé à nourrir tout le continent Africain, l’inflation et la famine qu’elle accentue soulignent un autre problème absurde.
Le respect des droits des femmes est un grand défi en République Démocratique du Congo. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, est l’occasion de promouvoir l’autonomisation et l’inclusion des femmes à travers le monde. C’est aussi une opportunité de célébrer les réalisations des femmes tout en reconnaissant les défis qui persistent.